Lundi 13 janvier
Avec les parents, nous nous sommes donné rendez-vous devant le musée Maillol à 10h30. Mammé qui commence à maîtriser les sms -voire à aimer ça- me préviens qu'ils seront en retard, une bonne demi-heure. Je prends donc mon temps, jusqu'à ce qu'on rectifie, finalement le rendez-vous sera à l'heure. Eh bien pas moi, désolé.
L'exposition sur les Etrusques pourrait être passionnante. A condition de ne pas être contraint de la visiter coincé entre deux groupes de vieux, qui, rendus à moitié sourds par le casque de l'audioguide, se sentent obligés de parler entre eux à un niveau sonore assez pénible. Surtout pour des remarques à la con, des questions débiles, des références affligeantes à leurs précédents voyages.
Une promenade à pied pour rejoindre Paris la rive droite, déjeuner au Stube rue de Richelieu (un strudel à la viande pour moi) où les parents retrouvent ce goût d'Allemagne qui leur manque. On évoque la famille, tous les cousins-cousines qu'ils ont revus la veille pour la traditionnelle réunion de début d'année à laquelle je me suis fait porter pâle. Des gens bien, qui valent sûrement le coup qu'on les connaisse, qui font de la musique, jouent des spectacles, mènent leur petite barque... Dommage que je ne sois pas plus porté à socialiser.
Un dernier café place de la Madeleine avant de les renvoyer en banlieue chez mon frère, c'est le moment d'offrir ses cadeaux d'anniversaire à Mammé. Je calcule que sur l'ensemble de cette journée, j'aurai réussi à leur parler de ma vie environ trente secondes, ils savent au moins que je fais du sport régulièrement et que ça me plait. C'est toujours plus que durant les vacances de Noël, où le sujet "moi" n'a pas été abordé une seule fois.
Mardi 14 janvier
Dans la matinée, sortie running assez intensive avec un pote du sport, dans le genre triathlète, ça motive. ll se dit assez favorablement surpris par ma tonicité sur le circuit bien dénivelé que je nous fais prendre sur les pentes des Buttes-Chaumont.
Mercredi 15 janvier
Journée assez complète, comme il faudrait qu'elles le soient toutes.
A l'UGC des Halles pour Mère et fils (Positia copilului en VO), film roumain qui a remporté le Ours d'or du meilleur film à Berlin. Un trentenaire falot qui renverse, et tue, un enfant sur une route à la sortie d'une petite ville. La mère (et sa soeur), haute société post-communiste, qui tente de faire jouer ses relations pour sortir le rejeton du cours normal de l'enquête, et s'incruster tant qu'à faire dans sa vie privée de garçon instable à la colle avec une mère célibataire qui ne répond pas au standing espéré. Rancoeurs familiales, choc de classes sociales, lucidité et pugnacité de l'une face à la pusilanimité puérile de l'autre. Un cocktail réussi.
J'enchaîne avec une bonne séance de cross-fit aux Buttes-Chaumont, sous une pluie pénible. Avec la vapeur que dégage mon corps dans la fraîcheur nocturne, mes lunettes sont complètement embuées. Avec mes gants et mon sweat-shirt plein de boue, je n'ai plus un centimètre carré de textile propre et sec de disponible pour les essuyer et, malgré la lampe frontale dont je me suis enfin équipé, j'avale la séquence quasiment à l'aveugle.
Après le dîner, j'achève La crypte des Capucins de Joseph Roth, fresque du délitement de l'empire austro-hongrois au travers des yeux d'un jeune bourgeois viennois, de la première Guerre mondiale au milieu des années 30, et qui, de façon légèrement prémonitoire (il fut publié en 1938) et dénonçant l'expansionisme germanique augure de la suite tragique des évènements que l'auteur, devenu indigent, alcoolique et malade et mort en exil à Paris ne connaitra pas. Son ex-femme, malade et internée dans un asile psychiatrique autrichien, sera quant à elle euthananisée en 1940.
"- Bizarre, dit le jeune Festetics, ces Slovènes! Les Hongrois les privent de leurs droits nationaux les plus vitaux, ils se défendent, ils se mutinent même à l'occasion, ils font tout au moins semblant de se révolter, mais ils célèbrent l'anniversaire de l'empereur.
- Rien n'est bizarre dans cette monarchie, répliqua le comte Chojnicki, notre doyen. Sans nos imbéciles de gouvernants (il aimait les expressions fortes), il n'y aurait là rien de bizarre, pas même en apparence. Je veux dire que cette prétendue bizarrerie est tout ce qu'il y a de plus naturel en Autriche-Hongrie [...] Evidemment, ce sont les Slovènes, les Galiciens et les Ruthènes de Pologne, les Juifs à caftan de Boryslaw, les maquignons de la Bacska, les musulmans de Sarajevo, les marchands de marrons de Mostar qui chantent l'hymne de l'empereur. Mais les étudiants de Brno et d'Eger, les dentistes, pharmaciens, garçons coiffeurs, artistes photographes de Linz, Graz, Knittelfeld, les goîtreux de nos vallées alpines, eux, chantent tous la Wacht am Rhein. Messieurs, l'Autriche crèvera de cette fidélité de Nibelungen teutons. La quintessence de l'Autriche, on ne la découvre pas au centre de l'empire mais à la périphérie. Ce n'est pas dans les Alpes que l'on trouve l'Autriche : on n'y trouve que des chamois, des edelweiss, des gentianes, mais on n'y devine qu'à peine la présence de l'aigle bicéphale."
Jeudi 16 janvier
Je pèse 66,7 kilos.
Dans l'après-midi, mon sparring partner de course déclare forfait à cause d'une blessure au mollet qui s'est réveillée sur le trajet entre chez lui et notre point de rendez-vous. Je décide de courir malgré tout, et je me prends une heure d'averse drue et pénétrante. Comme il se doit, les éclaircies reviennent dès que je suis rentré chez moi. Je suis maudit.
Vendredi 17 janvier
Mon colocataire a joué les dealers pour me procurer, grâce à ses entrées dans une chaine de magasins réservée aux professionnels de la restauration, un sac de farine italienne "manitoba" autrement quasiment impossible à trouver dans le commerce de détail.
L'idée était d'abord de me lancer dans la réalisation de panettonne, pâtisserie que j'apprécie particulièrement quand elle est réussie (le père Noël m'a livré cette année un Bonifanti aux marrons glacés), pour laquelle ce type de farine généreux en gluten est indispensable.
Je me contenterai ce soir de tenter la pâte à pizza maison. Et franchement, le premier résultat, s'il peut être amélioré, se révèle tout à fait honorable. C'est plutôt du côté du four qu'il faudra affiner : la première en est sortie complètement crâmée. On s'envoie les deux suivantes en regardant Un pyjama pour deux.
Samedi 18 janvier
Lomo chargé, je vais me balader en direction du Marais pour prendre quelques photos. Sur le trajet du retour, pause au Marcovaldo, faute de place au Café Pinson trusté par ces maudits-bobos-qui-brunchent-le-WE et qui vont faire perdre NKM aux prochaines municipales. La Sauvette m'y rejoint, et je peux gossiper tout mon saoûl sur mon hôte tchèque et ses deux copines complètement chtarbées qui sont arrivés ce matin à la maison.
Le petit plaisir du soir, c'est un grignotage de mezzés grecs attrapés sur la route à l'Olivier.
Dimanche 19 janvier
Goûter d'anniversaire chez ma copine roumaine, qui, de retour de la Réunion, me gâte de vanille et de kumbawa.
Un des invités est venu avec son adorable gamine, on intrigue pour qu'elle ait la fève. "Tu peux choisir ton roi!". Et là, en toute gentillesse, je ne peux pas m'empêcher de lancer une djendeur-attack. "Elle peut aussi choisir sa reine si elle veut!". Tout le monde approuve, sans état d'âme. Elle choisira donc une reine.
Petit moment de petite victoire, où l'on se dit que tout ne va pas mal. Je plains en même temps les autres petites filles de son âge qui, à Versailles ou ailleurs, ne grandiront pas dans un milieu aussi ouvert, et l'âge venu de se confronter à la *différence*, la leur comme celle des autres, ne seront pas armées pour y faire face.
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