Il y a une dizaine de jours, Ségolène Royal, désormais ministre de l'écologie, a présenté les grands axes de la future loi de transition énergétique. Côté habitat, de façon somme toute très logique,l'accent est mis sur l'efficacité énergétique et l'isolation thermique des logements pour éviter le gaspillage que représentent les "passoires à chaleur".
Cet exposé est venu savoureusement télescoper le journal (Jardins et routes, 1939-1940) tenu par Ernst Jünger, alors officier de la Wehrmacht engagé dans la campagne de France, que je viens de commencer. Cantonné dans un hameau proche d'Henrichemont, dans le Cher, celui-ci raconte ainsi la veillée du 4 juillet 1940 en compagnie des dames de la place, semble-t-il peu farouches malgré (en raison ?) de la situation :
Dans cet état d'esprit, nous causâmes de bassinoires, sortes de larges poêles en cuivre rouge, destinées à recevoir de la braise. Elles sont munies de couvercles perforés qui sont découpés d'après des modèles riches et variés. On s'en sert pour chauffer les lits avant d'aller se coucher et on les tient par de longs manches en bois ; mais l'usage s'en perd parce qu'il suppose des domestiques. Notre hôtesse vantait ces espèces de poêle et nous engageâmes une discussion quelque peu rabelaisienne sur les avantages de différentes sortes de chauffe-lits. Finalement, la palme revint "à l'esclave tcherkesse de seize ans".
Une piste demeurée malheureusement inexplorée tant par l'aréopage de technocrates qui ont pondu cette loi que par les militants écologistes qui souhaitent l'améliorer.
Il bouge encore...
Voilà donc exactement dix ans, à quelques jours près, que je me lançais dans l'aventure de ce blog. Malgré les hauts et les bas (surtout les bas -je parle des miens), malgré la concurrence des rézosocios, qui rendent l'exercice assez vain, tant du côté du rédacteur que de celui du lecteur, et, qui sait, peut-être pour quelques années supplémentaires encore.
237 notes sans compter celle-ci, 1407 commentaires -hors spam- des périodes denses, d'autres de relâchement, même si les plus avisés auront constaté comme un sursaut en début d'année. Pas la peine de pousser plus loin de bilan de la décennie, ce serait aussi fastidieux pour ceux qui ne me connaissent pas qu'inutile pour ceux, qui, au contraire, me supportent au jour le jour ou de façon plus épisodique.
J'en retiendrai uniquement l'expérience humaine, ceux que j'ai rencontrés à mes débuts et qui demeurent aujourd'hui des amis chers et indispensables, l'amour aussi qui noua quelques noeuds par ici. Tout cela a perduré, au delà du crépuscule blogesque, ce qui prouve (sauf exception) que ces affinités n'étaient pas que de circonstance. La jeune génération, débarquée directement sur twitter et facebook, n'aura pas connu le plaisir de cette découverte, de cette attente aussi, préludes à la "rencontre IRL" immédiatement dense, même si pas forcément concluante. Je doute que le "poke" ou le "follow back" lui fournisse aujourd'hui le même lot d'émotions. Je crains aussi que l'effort de iire d'un seul coup plus de 140 caractères ne constitue un définitif obstacle à un retour de faveur du format blog. Nous étions mine de rien l'internet 2.0, nous voilà depuis cinq ans aussi ringards que le livre papier.
Tant pis. Nous ferons donc avec, et continuerons comme si de rien n'était à siroter nos Dry Martini et Cosmopolitan dans le confort du Club des Vieilles, entre vieux croûtons survivants de cette époque.
Hutte aux roseaux, 4 février 1940
[...]Ce vin me procura durant toute la nuit de façon légère et agréable des images claires à fond coloré. Le vin seul réussit de tels tours de force, encore ne sont-ce que les crus les meilleurs et les plus purs; ils ressemblent à des clefs qui n'arrivent pas à ouvrir tous les coeurs. Je me rappelle encore un Parempuyre que j'ai bu avec papa, mais surtout un léger vin blanc de pays qui nous fit passer la nuit à Carcassonne et qui nous égaya en quelque sorte jusqu'à la moelle. Lorsque j'en voulu commander un fût, j'appris que ce cru perd son arôme dès qu'il s'éloigne un peu de son terroir. Un tel vin ressemble à une trouvaille, à un ami, autour duquel il faut s'empresser lorsque l'on atteint l'âge où l'on ne boit plus au hasard.
Ernst Jünger, Jardins et routes, Ed. La Pleïade, p.86
Mardi 4 février
Jacky au royaume des filles, avec La Sauvette à l'UGC des Halles.
J'avais bien aimé la bande annonce, le côté potache à la Sattouf, avec toujours le risque que tous les bons sketchs et répliques y soient compilés, et que le reste du film se révèle un peu faible.
Dans une république imaginaire, mélange de Caucase et d'Asie centrale (monumentale architecture soviétique, steppe désolée, culte du dieu cheval) la société est dominée par les femmes. Une dictatrice (superbe Anémone) décide d'abdiquer en faveur de sa fille (la Colonelle, troublante Charlotte Gainsbourg) et organise un grand bal au cours duquel elle est censée trouver un mari. Dans un petit village, les intrigues vont bon train au sein de la famille de Jacky pour pouvoir assister au bal. Mais, après bien des péripéties, c'est déguisé en femme que le romantique garçon arrivera à séduire la Colonelle...
On rit, mais si on est outillé pour regarder le film au second degré, on rit jaune ; et on sait aussi que les situations qui ont l'air si cocasses quand elles mettent en scène ces hommes voilés, auxquels on accorde parfois le droit de s'acheter du shampooing -voire d'apprendre à lire !- ne sont pas du tout imaginaires dans certains pays, dans certains milieux, dans certaines religions. La domination d'un sexe sur l'autre bien sûr, mais l'oppression véhiculée au sein de la société et de la famille elle-même par les pères sur leur fils, par miroir de celle exercée par les mères, belles-mères, tantes et autres mégères.
J'aimerais bien voir les réactions de spectateurs lambdas dans certaines salles, de petites villes de province, de Versailles ou de Mantes-la-Jolie. Dans cette époque de paranoïa anto-djendeur, de "journées de retrait" de l'école et d'imprécations machisto-homophobes, la diffusion de ce film y apporterait une salutaire et rafraichissante distraction.
Mercredi 5 février
Atelier de groupe au cabinet de Rh, exercice de présentation en dix minutes pour défendre sa candidature au cours d'un entretien fictif face à une spécialiste du recrutement.
Dans l'exposé de mon expérience et de mes réalisations, je me fais reprendre : "apprenez à dire *je*, plus *nous*." De la difficulté d'avoir travaillé en équipe et d'avoir presque systématiquement, et le plus souvent de bon gré, concédé à d'autres le soin d'endosser mon action. Il faudrait me réédiquer, mais je crains que le pli ne soit pris de façon irrémédiable.
Vendredi 7 février
Running dans l'après-midi aux Buttes-Chaumont avec mon coach qui me promet de m'emmener vers des sommets de performance.
Petit dîner de coloc le soir, avec V. et la Vilaine Lulu, autour d'un filet mignon.
Samedi 8 février
Encore des agapes, avec juste V. Je prépare un carpaccio de champignons, des grenadins de veau et une poellée de légumes de chez Terroirs d'avenir, le tout accompagné d'un Chassagne-Montrachet, un 1995 dans mon souvenir.
Dimanche 9 février
Après le déjeuner, direction le Marais pour visiter, à la Bibliothque historique de la Ville de Paris, l'exposition "Paris 14-18, la guerre au quotidien". On peut y admirer deux cent photos prises durant cette période dans la capitale et illustrants les mouvements de population, l'arrivée des réfugiés belges ou nordistes, la (dérisoire) défense de la place, les restrictions, les destructions, la célebration de la victoire... Au delà du regard sur la vie quotidienne, qui déconstruit quelques clichés, c'est aussi l'occasion de voir certains visages d'un Paris qui n'existe plus, où, au contraire, d'en constater les permanences en reconnaissant des lieux qui n'ont pas changé depuis.
Mention spéciale pour certains documents, comme cette carte des bombardements, qui attestent que mon pâté d'immeubles a été touché par la grosse Bertha ou une des ces cousines. Ou encore cette affiche rappelant énonçant les restrictions imposées aux restaurants, qui ne peuvent avoir à leur carte plus de trois plats principaux -outre les entrées, les desserts et tout le reste- et ne peuvent servir aux clients que des repas limités en quantité : une seule entrée (ou des huîtres), plat de viande, plat de légumes, fromage, dessert... mais, ô misère, les entremets sont supprimés !
Samedi 1er février
La polémique de ces derniers temps autour du spectacle de Dieudonné m'a passablement irrité. Je suis pour la liberté d'expression, et par conséquent pour que la connerie, même la plus crasse, puisse s'exprimer publiquement, dans toute sa vérité. Mais je suis aussi pour qu'on ne laisse rien passer en contre-argumentant, point par point, sans ménagement.
Je ne supporte plus les "pas homophobe mais", "pas raciste car", "pas antisémite puisque". Ce qui me gonfle encore plus, et me désole, c'est que ceux qui, en l'occurence, se plaignent de l'omniprésence de la politique mémorielle autour de la shoah se trompent à double titre en voulant s'engager dans une concurrence victimaire. D'abord parce que, sur un plan strictement factuel, les médias parlent des grands drames qui touchent des populations humaines dans leur chair (Google actu est ton ami). Mais encore faut-il pour cela prendre la peine d'ouvrir le Monde, Courrier International ou de de regarder Arte et France 24. Ce qui demande, en contrepartie, de regarder un peu moins "Les Chtis à Pétaouchnok" ou les pitreries de Hanouna. Ou les videos moisies dudit Dieudonné.
D'autre part, c'est justement l'étude des ressorts humain, administratifs, techniques et politiques de la Shoah qui permet d'éclairer et d'alerter sur les insupportables redites de l'histoire. Les fans de Dieudonné "saturent" de la Shoah, mais concrètement, n'en ont absolument rien à battre des crimes de masse et des génocides qui ont été ensuite perpétrés, sur notre continent ou ailleurs. Interrogez les sur le conflit yougoslave, le Rwanda, le Biafra, le Cambodge... Leur inculture se révèlera dans toute sa splendeur. Alors je leur conseille d'abandonner leurs arguments fumeux et d'assumer tout simplement leur antisémitisme, leur détestation des juifs, ils nous feront gagner du temps. Oui, la quenelle est un "geste antisystème". Mais le "système" en question est dans leur esprit un conglomérat médiatico-financier cosmopolite aux mains des juifs. CQFD [par contre, le vrai système, celui controlé par les hommes-hétéros-blancs-de 50 ans, celui là, ils diront rien contre. Ca serait trop djendeur attack. Ou le système Dieudo, qui vit aux crochets de sa cour et fraude le fisc, n'en parlons pas.]
Par réaction, et parce que l'humour est le meilleur antidote à la bêtise, j'organise ce soir avec la Vilaine Lulu, O. et G et bien sûr V. un dîner où la quenelle , la vraie, la savoureuse lyonnaise -celle, par exemple de l'incontournable Maison Girodet- est à l'honneur. Avec, en dessert, un ananas chaud, en pied-de-nez au nauséabond Shoahnanas dieudonnesque.
Dimanche 2 février
Journée paisible, il fait beau et doux. Avec V., déjeuner léger chez Edgar, installé sur une tranquille placette du Sentier. Nous marchons tranquillement jusqu'au Marais, pasteis de nata chez Comme à Lisbonne en guise de dessert.
Vu le prix unitaire du (mini) gâteau -2€- et le débit, ce commerce est plus rentable que le trafic de cocaïne!
Je termine Un garçon parfait de Alain Claude Sulzer. Je n'aurais peut-être pas attribué trois T, mais c'est un livre de qualité(s).
Et le soir sur Arte Le train sifflera trois fois, dont le message m'apparaît bien plus percutant que lorsque je l'avais vu la première fois.
Lundi 27 janvier
Je me fais arnaquer en allant changer des dollars : je pense aller chez CCO au 9 rue Scribe, et je suis en fait chez Kanoo au 11 de la même rue. Non contente de servir un taux de change peu attractif, cette officine se goinfre en plus d'une commission de 5% sur la transaction. Bien fait pour moi, je n'avais qu'à lire l'avertissement pourtant bien visible sur le site de CCO : "Ne pas confondre avec un autre bureau au 11 rue scribe les taux de change ne sont absolument pas les mêmes !!!"
Une heure de course aux Buttes-Chaumont.
Passage ensuite chez Négatif+ pour récupérer les premières pellicules utilisées avec le LOMO que V. m'a offert à Noël. Forcément, il y a du déchet, mais le résultat est globalement sympa, et quelques photos sont même carrément intéressantes.
Mardi 28 janvier
Concert Haëndel de Sonya Yoncheva à la salle Pleyel, où elle est accompagnée par l'orchestre Orfeo 55 de Nathalie Stutzmann, ma chouchoute.
Si la première partie semble manquer un peu de relief - besoin de prendre ses marques avec la salle?- ça s'envole littéralement après l'entracte (mais peut-être est-ce aussi dû, de notre côté, au champagne qui commence à faire effet et incline à l'indulgence). En tout cas, elle sait nous emporte avec elle, d'abord dans "Ah mio cor" puis "Ah Ruggiero crudel... ombre pallide" d'Alcina. Au delà de la technique, que je me garderai bien de jauger et de commenter compte-tenu de mon manque de références mais satisfaisante à mon goût, j'aime comme elle joue sur scène, minaude avec la chef d'orchestre ou quelques instrumentistes, donnant de la vie à ce récital. Il nous semble aussi que l'orchestre, que pour le coup nous suivons désormais depuis quelques années, a bien progressé (même si le violoncelliste qui énerve V. est toujours là), dans la justesse et la cohésion -même si ce n'est pas non plus le Berliner Philarmoniker. La complicité, peut-être même l'amitié, qui s'exprime entre Yoncheva et Stutzmann donne aussi beaucoup de saveur au spectacle.
Trois bis (appelle-t-on le troisième bis un quater?) alors que j'ai cru comprendre qu'un seul était prévu à l'origine, mais la chaleur de l'accueil parisien aura fait son oeuvre.
J'ai lu depuis quelques critiques averties dont le ton ne manque pas, tout du moins pour l'une d'entre elles, de m'agacer légèrement, dans le registre "la prestation est décevante mais plait au public" (ce plouc).
Mercredi 29 janvier
Rendez-vous le matin avec la consultante RH, a laquelle je fais partager ma frustration de ne pas avoir obtenu le poste que je convoitais. Pendant que nous échangeons, elle se souvient qu'elle a dans ses contacts le PDG d'une boîte dans le photovoltaïque qui pourrait avoir besoin de mes services, et lui envoie un courriel sur le champ pour me recommander.
Alors que je suis en train de rentrer chez moi, à peine vingt minutes plus tard, elle me rappelle pour me confirmer qu'il est effectivement intéressé et me propose de le rencontrer le plus vite possible. Nous calons l'entretien pour ce vendredi.
Bonne séance de course l'après-midi aux Buttes-Chaumont.
Jeudi 30 janvier
J'ai rendez-vous cet après-midi avec un gars du groupe qui participe aux ateliers du cabinet de RH. Il a besoin d'être conseillé car il doit passer dans quelques jours un entretien pour un poste qui correspond, peu ou prou, dans un domaine adjacent, à ce que faisais dans mon dernier job.
Evidemment, si j'étais intelligent, un peu ambitieux, voire cynique, je me positionnerais pour lui piquer la place.
Vendredi 31 janvier
Ligne 13 direction le grand nord pour mon entretien. Ca se passe à la cool, sans rond-de-jambe, direct et efficace. Le produit que le gars a conçu et souhaite commercialiser m'a l'air d'être une vraie pépite. De son côté, il a besoin d'énergies supplémentaires dans sa petite équipe pour vendre son projet aux financeurs, aux politiques et aux médias. Nous convenons que ça vaut le coup de continuer à en parler pour voir ce que nous pouvons faire ensemble.
Le soir, après nous être cassé le nez chez Mme Shawn dont le restaurant de la rue des Récollets est en travaux, nous dégotons avec V. une table au Bistrot Urbain où l'accueil de Samuel, le taulier, est toujours aussi réconfortant.Je crois que nous avons pris de la pintade, avec un Fleurie.
Bilan de janvier : trois expositions (j'ai oublié de parler de celle de la Cité du patrimoine consacrée à l'art déco vue le 25 janvier avec la Vilaine Lulu), quatre films, un concert.
Lundi 20 janvier
Pas de nouvelles de mon entretien. Je sens que c'est cuit.
Mardi 21 janvier
Grâce à un copain du sport, je découvre l'aquajogging. Pendant trois quarts d'heure, un maître nageur (assez mignon et plein d'humour) fait se trémousser notre groupe -trois garçons, une grosse vingtaine de filles- sur la BO du Great Gatsby de Luhrman. On court vers l'avant, vers l'arrière, on joue des haltères, on pédale dans le vide... Mine de rien, et même si nous devons avoir l'air un peu ridicules depuis le bord du bassin, nous nous dépensons pour de vrai, l'avantage étant que l'on ne se voit pas suer.
C'est ainsi la première fois que je mets les pieds à la piscine Georges Vallerey et j'avoue, bien qu'étant jusqu'alors un inconditionnel de Suzanne (la piscine des Halles) et de ses 50 mètres, je suis séduit à la fois par le lieu et par l'ambiance. Evidemment, à fréquenter une piscine de bobo, on a des soucis de bobo : au moment de partir du vestiaire après m'être changé, j'ai une hésitation : un autre sac "Julhès" est suspendu au crochet à côté du mien.
Mercredi 21 janvier
Atelier de groupe au cabinet de rh qui *m'accompagne* dans mon *repositionnement* professionnel. En sortant, et comme je le prévoyais, je reçois un courriel qui m'informe que je ne suis finalement pas retenu pour le poste de secrétaire général que je visais. Le message est très sympathique, mais ça ne change rien au résultat. Ca a beau ne pas être mon premier échec (ou justement, parce que ce n'est pas le premier), il me bouscule assez fortement et je m'abîme dans un océan de perplexité. A l'issue de cette réflexion, je prends une résolution assez radicale, nous verrons bien si j'aurai à m'y tenir.
En consolation, un déjeuner à deux au Café Capucine où nous avons quelques habitudes.
Et puis je commence à avoir la crève, je laisse tomber l'idée d'aller rejoindre A* qui fête son anniversaire ce soir dans un bar à vin d'Oberkampf avec la bande du sport, malgré le plaisir que j'aurais à en voir certains.
Jeudi 22 janvier
Encore cette maudite crève. Je renonce à sortir courir et je reste toute la journée à mouler comme une pauvresse en expectorant et en reniflant.
Vendredi 23 janvier
Toli arrive à me sortir de ma torpeur léthargique et nous allons déjeuner au nouveau Café Pinson, ouvert il y a quelques semaines dans la rue du Faubourg Poissonnière.
Alors qu'à cette heure de pointe nous attendons notre tour -Hazanavicius qui termine de déjeuner nous libère opportunément une table- une greluche arrivée après nous essaie de nous gratter en assénant d'un air un peu pimbèche qu'elle a téléphoné dans la matinée pour réserver. Le serveur de l'accueil la remet fermement en place, mais avec tact. "Désolée Mademoiselle, mais nous ne prenons jamais de réservation. Vous avez sûrement dû appeler le restaurant d'à côté !"
Samedi 24 janvier
Nous accueillons aujourd'hui dans notre chabre d'hôtes un couple gay qui arrive de Bakou. Le gars est bizarre, pas du tout agréable, il passe son temps à envoyer des mails et sms pendant que je lui donne des explications pratiques -oui, je l'emmerde. Le soir même il quitte l'appartement sur un coup de tête, considérant comme anormal qu'il n'y ait plus d'eau chaude après qu'il ait apparemment complètement vidé le chauffe-eau, et refusant de devoir attendre quelques heures pour en avoir à nouveau. Il faudra que j'apprenne à dire "Dégage connard" en azerbaidjanais.
On s'en fout, on termine tranquillement la soirée en retrouvant Rock Hudson et Doris Day dans Confidences sur l'oreiller.
Dimanche 25 janvier
Comme (presque) chaque fois que nous allons chez lui, c'est en arrivant sous une pluie battante que nous honorons l'invitation de Ditom. Enjeu : désigner la meilleure galette, entre la sienne et celle du copain.
Il se vante d'avoir *lui*, à la différnece de son chéri, fourré son oeuvre d'une vraie frangipane, en additionnant la crème d'amande de crème pâtissière. Il se plaint cependant de la difficulté à réaliser cette dernière, et du temps que ça a lui a pris. Devant notre étonnement, il avoue que, craignant un incident culinaire, il l'a fait cuire à basse température... On comprend mieux les quarante minutes qu'il lui a fallu.
Comme à l'école des fans, nous décernons un 10/10 aux deux candidats. Nous sommes pour la paix des ménages, même si, forcément, nous avions une préférence.
Lundi 13 janvier
Avec les parents, nous nous sommes donné rendez-vous devant le musée Maillol à 10h30. Mammé qui commence à maîtriser les sms -voire à aimer ça- me préviens qu'ils seront en retard, une bonne demi-heure. Je prends donc mon temps, jusqu'à ce qu'on rectifie, finalement le rendez-vous sera à l'heure. Eh bien pas moi, désolé.
L'exposition sur les Etrusques pourrait être passionnante. A condition de ne pas être contraint de la visiter coincé entre deux groupes de vieux, qui, rendus à moitié sourds par le casque de l'audioguide, se sentent obligés de parler entre eux à un niveau sonore assez pénible. Surtout pour des remarques à la con, des questions débiles, des références affligeantes à leurs précédents voyages.
Une promenade à pied pour rejoindre Paris la rive droite, déjeuner au Stube rue de Richelieu (un strudel à la viande pour moi) où les parents retrouvent ce goût d'Allemagne qui leur manque. On évoque la famille, tous les cousins-cousines qu'ils ont revus la veille pour la traditionnelle réunion de début d'année à laquelle je me suis fait porter pâle. Des gens bien, qui valent sûrement le coup qu'on les connaisse, qui font de la musique, jouent des spectacles, mènent leur petite barque... Dommage que je ne sois pas plus porté à socialiser.
Un dernier café place de la Madeleine avant de les renvoyer en banlieue chez mon frère, c'est le moment d'offrir ses cadeaux d'anniversaire à Mammé. Je calcule que sur l'ensemble de cette journée, j'aurai réussi à leur parler de ma vie environ trente secondes, ils savent au moins que je fais du sport régulièrement et que ça me plait. C'est toujours plus que durant les vacances de Noël, où le sujet "moi" n'a pas été abordé une seule fois.
Mardi 14 janvier
Dans la matinée, sortie running assez intensive avec un pote du sport, dans le genre triathlète, ça motive. ll se dit assez favorablement surpris par ma tonicité sur le circuit bien dénivelé que je nous fais prendre sur les pentes des Buttes-Chaumont.
Mercredi 15 janvier
Journée assez complète, comme il faudrait qu'elles le soient toutes.
A l'UGC des Halles pour Mère et fils (Positia copilului en VO), film roumain qui a remporté le Ours d'or du meilleur film à Berlin. Un trentenaire falot qui renverse, et tue, un enfant sur une route à la sortie d'une petite ville. La mère (et sa soeur), haute société post-communiste, qui tente de faire jouer ses relations pour sortir le rejeton du cours normal de l'enquête, et s'incruster tant qu'à faire dans sa vie privée de garçon instable à la colle avec une mère célibataire qui ne répond pas au standing espéré. Rancoeurs familiales, choc de classes sociales, lucidité et pugnacité de l'une face à la pusilanimité puérile de l'autre. Un cocktail réussi.
J'enchaîne avec une bonne séance de cross-fit aux Buttes-Chaumont, sous une pluie pénible. Avec la vapeur que dégage mon corps dans la fraîcheur nocturne, mes lunettes sont complètement embuées. Avec mes gants et mon sweat-shirt plein de boue, je n'ai plus un centimètre carré de textile propre et sec de disponible pour les essuyer et, malgré la lampe frontale dont je me suis enfin équipé, j'avale la séquence quasiment à l'aveugle.
Après le dîner, j'achève La crypte des Capucins de Joseph Roth, fresque du délitement de l'empire austro-hongrois au travers des yeux d'un jeune bourgeois viennois, de la première Guerre mondiale au milieu des années 30, et qui, de façon légèrement prémonitoire (il fut publié en 1938) et dénonçant l'expansionisme germanique augure de la suite tragique des évènements que l'auteur, devenu indigent, alcoolique et malade et mort en exil à Paris ne connaitra pas. Son ex-femme, malade et internée dans un asile psychiatrique autrichien, sera quant à elle euthananisée en 1940.
"- Bizarre, dit le jeune Festetics, ces Slovènes! Les Hongrois les privent de leurs droits nationaux les plus vitaux, ils se défendent, ils se mutinent même à l'occasion, ils font tout au moins semblant de se révolter, mais ils célèbrent l'anniversaire de l'empereur.
- Rien n'est bizarre dans cette monarchie, répliqua le comte Chojnicki, notre doyen. Sans nos imbéciles de gouvernants (il aimait les expressions fortes), il n'y aurait là rien de bizarre, pas même en apparence. Je veux dire que cette prétendue bizarrerie est tout ce qu'il y a de plus naturel en Autriche-Hongrie [...] Evidemment, ce sont les Slovènes, les Galiciens et les Ruthènes de Pologne, les Juifs à caftan de Boryslaw, les maquignons de la Bacska, les musulmans de Sarajevo, les marchands de marrons de Mostar qui chantent l'hymne de l'empereur. Mais les étudiants de Brno et d'Eger, les dentistes, pharmaciens, garçons coiffeurs, artistes photographes de Linz, Graz, Knittelfeld, les goîtreux de nos vallées alpines, eux, chantent tous la Wacht am Rhein. Messieurs, l'Autriche crèvera de cette fidélité de Nibelungen teutons. La quintessence de l'Autriche, on ne la découvre pas au centre de l'empire mais à la périphérie. Ce n'est pas dans les Alpes que l'on trouve l'Autriche : on n'y trouve que des chamois, des edelweiss, des gentianes, mais on n'y devine qu'à peine la présence de l'aigle bicéphale."
Jeudi 16 janvier
Je pèse 66,7 kilos.
Dans l'après-midi, mon sparring partner de course déclare forfait à cause d'une blessure au mollet qui s'est réveillée sur le trajet entre chez lui et notre point de rendez-vous. Je décide de courir malgré tout, et je me prends une heure d'averse drue et pénétrante. Comme il se doit, les éclaircies reviennent dès que je suis rentré chez moi. Je suis maudit.
Vendredi 17 janvier
Mon colocataire a joué les dealers pour me procurer, grâce à ses entrées dans une chaine de magasins réservée aux professionnels de la restauration, un sac de farine italienne "manitoba" autrement quasiment impossible à trouver dans le commerce de détail.
L'idée était d'abord de me lancer dans la réalisation de panettonne, pâtisserie que j'apprécie particulièrement quand elle est réussie (le père Noël m'a livré cette année un Bonifanti aux marrons glacés), pour laquelle ce type de farine généreux en gluten est indispensable.
Je me contenterai ce soir de tenter la pâte à pizza maison. Et franchement, le premier résultat, s'il peut être amélioré, se révèle tout à fait honorable. C'est plutôt du côté du four qu'il faudra affiner : la première en est sortie complètement crâmée. On s'envoie les deux suivantes en regardant Un pyjama pour deux.
Samedi 18 janvier
Lomo chargé, je vais me balader en direction du Marais pour prendre quelques photos. Sur le trajet du retour, pause au Marcovaldo, faute de place au Café Pinson trusté par ces maudits-bobos-qui-brunchent-le-WE et qui vont faire perdre NKM aux prochaines municipales. La Sauvette m'y rejoint, et je peux gossiper tout mon saoûl sur mon hôte tchèque et ses deux copines complètement chtarbées qui sont arrivés ce matin à la maison.
Le petit plaisir du soir, c'est un grignotage de mezzés grecs attrapés sur la route à l'Olivier.
Dimanche 19 janvier
Goûter d'anniversaire chez ma copine roumaine, qui, de retour de la Réunion, me gâte de vanille et de kumbawa.
Un des invités est venu avec son adorable gamine, on intrigue pour qu'elle ait la fève. "Tu peux choisir ton roi!". Et là, en toute gentillesse, je ne peux pas m'empêcher de lancer une djendeur-attack. "Elle peut aussi choisir sa reine si elle veut!". Tout le monde approuve, sans état d'âme. Elle choisira donc une reine.
Petit moment de petite victoire, où l'on se dit que tout ne va pas mal. Je plains en même temps les autres petites filles de son âge qui, à Versailles ou ailleurs, ne grandiront pas dans un milieu aussi ouvert, et l'âge venu de se confronter à la *différence*, la leur comme celle des autres, ne seront pas armées pour y faire face.
Lundi 6 janvier
Séance de sport avec coach Yoann.
Mardi 7 janvier
Je suis obligé de décliner la proposition alléchante d'un ami, qui me propose une place pour l'opéra Einstein on the beach de Philip Glass au Châtelet. Mais j'ai une grosse échéance demain, et, quitte à m'offrir une distraction, je préfère quelque chose de plus ramassé.
Ce sera donc un petit ciné avec La Sauvette. Oui, c'est son surnom dans mon répertoire téléphonique. Et c'est de sa faute aussi, depuis un échange de sms où il essayait de trafiquer des tickets de métro.
Le film, c'est Aime et fais ce que tu veux, de Malgorzata Szumowska. J'avoue, à la première critique que j'ai lue, je suis passé un peu vite sur le nom de la réalisatrice dont je n'avais retenu qu'une sonorité japonaise. La. Honte.
C'est donc l'histoire d'Adam, un prêtre qui dirige avec une réelle conviction altruiste un foyer pour adolescents en rupture familiale et sociale au fond de la campagne polonaise. Parallèlement au fil des petits et des grands drames qui jalonnent le quotidien de cette petite communauté se développe très discrètement une relation particulière avec un des garçons du groupe, qui, lorsqu'elle sera révelée, viendra bousculer des existences déjà bien cabossées.
La fin est inattendue, limite grinçante et incorrecte. Je ne la spoilerai pas ici, non pour éviter le risque -inexistant- de pourrir le plaisir d'un futur spectateur.
La seule critique que j'avais lue (et peut-être n'aurais-je pas dû avant de le voir), dans Le Monde, n'est pas tendre -et c'est un euphémisme- avec le film :
Brassant les symboles religieux avec une frénésie décorative assez vite lassante, son film néglige de se poser les questions les plus évidentes et les plus importantes, notamment celle de la sincérité du sentiment religieux.
Adam a-t-il jamais eu la foi ? L'a-t-il perdu ? L'a-t-il encore ? Ou bien sa « vocation » ministérielle n'a-t-elle jamais été qu'un choix de carrière comme un autre ? A peine effleurée verbalement à coups d'aphorismes énigmatiques (« La course aussi est une prière » en commentaire de sa pratique du footing), la question s'efface au profit d'une mise en scène de la tentation fonctionnant totalement à vide. En dépit de l'interprétation convaincue et convaincante d'Andrzej Chyra, Adam se débat dans le vide ou face à des moulins à vent, et Aime et fais ce que tu veux évite certes la polémique, mais brasse de l'air.
Toute l'énergie de la réalisatrice est manifestement absorbée par les multiples jeux formels que lui inspirent les références bibliques à sa disposition. Courte barbe et cheveux longs, regards appuyés et sourire mélancolique, son Lukasz est l'exacte correspondance de ces icônes bon marché qui fleurissent sur les lieux de pélerinage. Sous couvert de lui apprendre à nager, Adam le « baptise » pour la caméra, presque nu dans ses bras au milieu d'un cours d'eau que caressent les rayons du soleil filtrant entre les branches.
La référence facile embrasse l'érotisme facile, les orages se déclenchent à la demande pour annoncer, comme les trompettes angéliques, les déferlements furieux de la passion, le clergé incompétent est survolé sans que l'on prenne le temps de s'interroger vraiment sur le sujet pourtant intéressant du comportement de la hiérarchie ecclésiastique face au cas du prêtre amoureux.
Sans être aussi sévère, c'est vrai que j'ai un peu de mal à comprendre l'attirance du prêtre pour Lukacz, qui dégage le charme d'une endive blette, et qui semble n'avoir qu'un seul regard "éploration-reconnaissance-attente" à son registre. Le gars ne décoche pas trois mots, n'a aucune discussion. Et d'un point de vue homoérotique, son physique est sans intérêt; sauf effectivement pour un prêtre, qui exprime par son désir d'un sosie du Christ, cheveux longs et légèrement ondulés, corps sec, tee-shirt mouillé qui fait office de suaire, un sous-complexe d'Oedipe mal résolu avec Dieu-le-Père.
Le personnage principal n'en demeure pas moins très touchant par ses faiblesses, son besoin de tendresse, son sentiment d'isolement, qu'il compense par l'alcoolisme et le dévouement.
Mercredi 8 janvier
Déjeuner rapide avec La Sauvette. Je jette un dernier oeil aux quelques pages de notes préparée pour mon entretien de cet après-midi avec le président d'une boîte susceptible de me recruter. Au cours du rendez-vous, j'ai l'impression que ça se passe de façon intelligente, plus pour jauger de notre compatibilité respective et de mes ambitions pour la mission, plus que pour évaluer mes compétences qui semblent évidentes à ses yeux. C'est une création de poste ce qui élimine le risque de voir son action comparée et jugée à celle d'un prédécesseur.
Comme c'est le premier jour des soldes, j'en profite ensuite pour décompresser en faisant un peu chauffer la carte bleue -rien que pour de l'indispensable ceci dit.
Le soir, je reste en mode décompression chez la Vilaine Lulu. French 75 et champagne pour se désaltérer, petits fours salés et mini-pavlovas en dessert. Je décide de prendre Lady Pawlowa comme nouveau nom de scène avant de regagner mes pénates, en roulant plus qu'en marchant. Heureusement la route jusqu'à chez moi est en descente.
Jeudi 9 janvier
Je regarde en replay Einsatzgruppen diffusée sur France 2 hier soir; je l'avais déjà vu il y a trois ou quatre ans. Même si je n'apprends rien de nouveau, comme à chaque fois, j'en sors dévasté. Je retiens en particulier cette série de photographies d'un groupe de juifs lituaniens, le 15 décembre 1941 sur une plage Liepaja. Sur les premières, une dizaine de femmes et d'enfants assistent à l'exécution d'un autre groupe, se réconfortant comme ils peuvent tout en sachant la fin inéluctable. Avant des le voir debout, au bord de la fosse, humant désespéremment un dernier souffle de vie, dos aux bourreau, attendant la balle qui d'une seconde à l'autre viendra les faucher. Pour enfin les découvrir, sur la dernière vue, amas sanguinolant au fond de leur dernière demeure de sable.
Et j'ai du mal à comprendre comment DIeudonné et ses adorateurs peuvent sans se poser de questions sur leur propre humanité se réjouir que des humains -abstraction faite de leur origine et de leur religion- aient été niés, détruits, liquidé avec une telle violence, et d'une façon aussi systématique et qu'ils regrettent même que le "travail" n'a pas été fini.
Lait noir de l'aube nous te buvons la nuit
Vendredi 10 janvier
Pour souhaiter la bienvenue à V. qui rentrera très tard après avoir passé la semaine en déplacement professionnel en Hongrie, je passe chez lui déposer chez un petit bouquet de roses et de la brioche pour son petit-déjeuner de demain.
La Vilaine Lulu me rejoins dans la soirée pour regarder Femmes de Cukor en grignotant des blinis au saumon. C'est un festival de répliques fielleuses dont on ne peut se lasser.
THE WOMEN(1939)(Dir.George Cukor)(USA) par psRanger
Jungle Red !
Samedi 11 janvier
Mini psychodrame familal parce que je n'ai pas répondu au sms envoyé par ma soeur il y a deux jours, elle s'inquiète donc auprès des parents, qui s'inquiètent donc à leur tout pour rien ("Et si tu étais à l'agonie?" -oui, je le jure, j'ai gardé le sms comme preuve). Ils sont en route vers la région parisienne, pour la traditionnelle rencontre familiale de début d'année. Comme systématiquement depuis vingt ans, et malgré, paraît-il, la demande exprimée par mes cousines l'année dernière, je décline l'invitation.
Petit plaisir dans l'après-midi, quand, alors je rentre dans un magasin de chaussures, le (charmant) patron fait un signe en direction de mes pieds en lançant un enjoué "Ah, je les reconnais celles-là!" -sachant que j'ai effectivement acheté ces boots il y a déjà quatre ans chez lui.
Poursuivant dans vers le Marais, je m'approvisionne en caviar d'aubergine et autres harengs hâchés chez Finkelsztajn - traiteur que chez nous on appelle par raccourci juste "le juif", ce qui pourrait donner lieu à de savoureux quiproquo si on nous entendait nous réjouir entre nous que "ce soir on mange du juif".
Avec V. nous retrouvons aux Halles la Vilaine Lulu, pour voir le Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert. Joli casting, jolis décors, jolis costumes, jolie photo, jolis dialogues. Je regrette le caractère finalement trop lisse de l'opus, qui lâche juste ce qu'il faut de sensible pour être crédible sans être déagréable à Pierre Bergé. J'aurais aimé en voir plus sur le processus créatif (au delà du "pouf, j'ouvre un catalague d'une expo Mondrian, oh tiens, si je faisais des robes Mondrian!") et surtout sur l'acidité des rapports du couple avec Karl Lagerfeld, comme Alicia Drake le rappelle dans Beautiful People. On verra si le film annoncé de Bertrand Bonello égratigne un petit peu plus efficacement le mythe -sans forcément briser l'icône.
Souper tardif (cocktails, zakouskis yiddish, tarte au chocolat maison).
Dimanche 12 janvier
Nous avons invité nos adorables voisins de palier à partager une galette; je suis assez content de la frangipane.
Mon père m'envoie mail sur mail pour que je n'oublie pas l'anniversaire de Mammé, ses 61 ans c'est aujourd'hui. Je n'ai jamais failli de ma vie, je ne vois pas pourquoi ça devrait arriver aujourd'hui et pourquoi il s'active comme ça.
Bon anniversaire Mammé !
Mardi 31 décembre 2013
Ils sont venus, ils sont tous là, même ceux du nord de l'Italie. Petite séance de rattrapage pour certains qui ne se sont pas vu depuis déjà plus de deux ans. Sept garçons classieux autour de la table, qui ont fait claquer qui le noeud pap, qui la cravate, mais qui dans tous les cas font honneur à la jolie table.
Comme à chaque fois, les saillies fusent. Il faudrait louer les services d'un scribe pour garder le souvenir des meilleures. Mais c'est peut-être leur évanescence qui laisse aussi nos propos plus libres et plus spontanés. Et la convivialité, et l'alcool qui les rend aussi sur le moment très drôles - supporteraient-elles le passage a l'écrit, à froid ?
J'ai également passé la soirée à mitrailler l'assistance (plus ou moins coopérative) au Lomo -offert quelques jours auparavant par le père Noël. Ces images demeureront elles aussi éphémères : j'ai mal engagé la pellicule dans la bobine, aucune photo n'a été prise.
Six bouteilles à six buveurs en six heures
Mercredi 1er janvier 2014
Je laisse V. commater au lit, assommé par les généreux verres de la veille, pendant que de mon côté je m'attelle au rangement des vestiges de la soirée. Ce n'est pas le tout de sortir le grand attirail et de changer de service à chaque plat, il faut ensuite assurer la manutention.
Tradition respectée: le concert viennois du Nouvel An, dirigé cette année par Daniel Barenboïm, m'accompagne dans ma tâche. Petite exentricité du chef qui, à la fin du concert, et pendant que l'orchestre exécute l'incontournable marche de Radetzky (par ailleurs roman essentiel de Joseph Roth que j'ai dégusté cet hiver) vient saluer un par un les instrumentistes.
Tradition respectée le soir de nouveau, cette fois avec la diffusion différée du concert de la Fenice sur Arte. Un beau gosse à la baguette (Matheuz), Carmen Gianattasio, coupe à la garçonne blond platine très fitzgeraldienne, et son partenaire contre-ténor Lawrence Brownlee, un classique cocktail de Donizetti, Verdi et Bellini pour finir tranquillement cette première journée de 2014. Comme sur la marche de Radetzky, on a le droit de frapper dans ses mains en rythme sur le Libiamo de clôture.
Funiculi, Funicula!
Jeudi 2 janvier
Direction le Grand Palais pour l'exposition Depardon - Un moment si doux. Quelques photos résonnent plus spécialement, quand elles sont prises dans des lieux que j'ai visités, parfois quasiment à la même époque, comme celles de Beyrouth.
Forcément, à la longue, on décèle quand même quelques tics de composition : il aime visiblement les angles d'immeubles, un personnage sur l'un des pans, il affectionne certains contrastes, certaines expositions, certaines oppositions colorées, mais peut-être la sélection des oeuvres de l'expo fait-elle focaliser sur ces traits saillants?
Au final, bien qu'intéressante, l'exposition est frustrante, au regard du prix d'entrée. Trop petite, trop courte, trop succinte. Pour le prix d'un pass même pas trois fois plus cher, les Rencontres d'Arles offrent trente fois plus de plaisir. Quel malheur d'être accoutumé au luxe.
Migration ensuite vers le quartier de l'Opéra, pour tester enfin Grillé, le kebab csp+ ouvert cet automne par un ancien du Chateaubriand qui débite du veau et de l'agneau de Desnoyer dans des galettes d'épeautre bio.
Il faut avouer que c'est un peu le sketch : la taule fait douze mètres carrés, on fait la queue un quart d'heure pour passer la commande et ensuite... ben ensuite c'est l'incertitude. Le plaisir de l'incertitude. L'indifférence de l'incertitude. Et puis au bout d'une grosse demi-heure, l'impatience de l'incertitude.
Parce que chez Grillé, le kebab, on te le bichonne. Le gars, il te débite sa colonne de barbaque en petites lichettes, tu te demandes si c'est à l'épluche-légume ou au coupe-ongle (compter 12 minutes pour une portion). Ensuite, il te l'assaisonne, mais attention, portion par portion. Et je te disperse mes 76 milligrammes de curcuma des hauts plateaux himalayens, et je te ciseaute mes trois feuilles de coriandre fraîche, et je te goutte-à-goutte mes 3,9 centilitres de jus de citron bio des contreforts de La Gomera, et je te balance ma pincée de fleur de sel... Et là, tu crois que ça va être bon mais non, la viande ça se sert chaud, et tu vois bébé, là, elle a un peu refroidi. Alors elle est bonne pour un petit aller-retour, oh rien du tout, trois-quatre minutes, sous la salamandre. Enfin on passe aux choses sérieuses : la galette allongée, la sauce (verte ou blanche, piment doux ou raifort) lissée, les lichettes de veau qui viennent s'y détendre, s'y enrouler... Hop, enveloppée dans un joli papier, et tendue au maudit chanceux qui te précède dans la file.
Sauf que, comme il y a de l'attente, les petits malins passent des commandes groupées. Tu crois que ça va être à toi, petit coquin? Bah non, le mec d'avant il a en a commandé six. T'es gentil, t'attends ton tour. Et c'est reparti pour les lichettes, l'assaisonnement, la salamandre. Limite tu es prêt à simuler une crise d'hypoglycémie pour qu'on te serve en priorité.
Une fois que tu t'en es sorti (avec une portion de frites involontairement glissée en rabe, oui ça fait plaisir, non ça ne s'imposait pas compte tenu de ton contexte pondéral) tu portes ton trophée à bout de bras comme le Saint-Graal devant le reste de la foule affamée et jalouse. Tu t'installes dans le square décati d'à côté, en jetant des regards angoissés sur les côtés, des fois qu'un morfale veuille te le piquer.
Alors oui c'est bon, c'est goûtu. Obligatoirement, après une telle attente, ça ne peut que consoler. Le pain a un vrai goût, la viande est tendre, fondante, imbibée de sauce et d'épices. De là à traverser Paris pour ça, à poireauter quasiment une heure -et encore, nous ne sommes que le 2 janvier... Petite compensation néanmoins (Suave mari magno...) : une pensée pour ceux qui, au même moment, font la queue gare Saint-Lazare pour s'envoyer un vulgaire hamburger industriel chez BK qui vient de réouvrir.
Un quart d'heure après, tout est englouti. Temps pour une balade shopping, de Roellinger (où je me leste de tisane à l'hibiscus aussi chère au gramme que du cannabis) à Delfonics, où je m'offre une jolie pochette rayurée club qui, quand elle sera trop fatiguée, pourra toujours être recyclée en cravate ou en noeud papillon.
Les reste du réveillon, effilochée de pintade et légumes écrasés, permettent un fort honorable parmentier que nous partageons au dîner avec la vilaine Lulu.
Vendredi 3 janvier
Je n'ai toujours appelé personne de la famille pour souhaiter à qui que ce soit la nouvelle année.
Le Loup de Wall Street aux Halles. Quelques souvenirs d'enfance remontent -mon père était gestionnaire de portefeuille au moment du krach de 1987, qui inaugure la carrière de Belfort/DiCaprio. Un Scorsese bien testostéronné, avec de belle performances d'acteur de DiCaprio en overdose ou en boss déjanté, sans morale et dont la dépendance à toutes sortes de substances, et en premier lieu l'argent, lui font perdre toute notion de la réalité. On n'échappe pas au couplet final, même s'il se glisse un peu en loucedé, sur la rédemption.
Samedi 4 janvier
Reprise du sport, après plus de trois semaines d'absence. Sans être complètement largué, ni trop empâté (les fêtes ont été raisonnables côté boustifaille, oui, un peu moins côté bouteilles), j'ai quand même du mal à suivre le rythme. J'anticipe des courbatures désagréables demain.
Incursion chez Gibert, pour essayer de mettre la main sur le Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, introuvable hier à la FNAC. Ici aussi, il est en rupture de stock, et cela me fait au fond très plaisir qu'un tel ouvrage rencontre ce succès. Je me contente de l'atlas de l'influence française, coordonné par le géopolitologue Michel Foucher, professeur qui a profondément marqué mes années de sciences politiques et a dirigé mon mémoire de fin d'études.
Le soir, dîner chez V. avec Joss, Kiki et la vilaine Lulu pour déguster ses makis maison. J'apporte des petites tropézienne et une jolie tarte aux pommes, complétées par une énorme boîte de macarons Dalloyau. Champagne pour faire couler, faut pas se déshydrater. Le LOMO crépite à tout va - oui, j'ai bien vérifié que la pellicule est bien enclenchée cette fois.
Dimanche 5 janvier
Une heure de jogging aux Buttes-Chaumont, et un début de dîner devant Le Hérisson, avant de zapper sur autre chose; je ne me souviens plus du reste.