Mardi 31 décembre 2013
Ils sont venus, ils sont tous là, même ceux du nord de l'Italie. Petite séance de rattrapage pour certains qui ne se sont pas vu depuis déjà plus de deux ans. Sept garçons classieux autour de la table, qui ont fait claquer qui le noeud pap, qui la cravate, mais qui dans tous les cas font honneur à la jolie table.
Comme à chaque fois, les saillies fusent. Il faudrait louer les services d'un scribe pour garder le souvenir des meilleures. Mais c'est peut-être leur évanescence qui laisse aussi nos propos plus libres et plus spontanés. Et la convivialité, et l'alcool qui les rend aussi sur le moment très drôles - supporteraient-elles le passage a l'écrit, à froid ?
J'ai également passé la soirée à mitrailler l'assistance (plus ou moins coopérative) au Lomo -offert quelques jours auparavant par le père Noël. Ces images demeureront elles aussi éphémères : j'ai mal engagé la pellicule dans la bobine, aucune photo n'a été prise.
Six bouteilles à six buveurs en six heures
Mercredi 1er janvier 2014
Je laisse V. commater au lit, assommé par les généreux verres de la veille, pendant que de mon côté je m'attelle au rangement des vestiges de la soirée. Ce n'est pas le tout de sortir le grand attirail et de changer de service à chaque plat, il faut ensuite assurer la manutention.
Tradition respectée: le concert viennois du Nouvel An, dirigé cette année par Daniel Barenboïm, m'accompagne dans ma tâche. Petite exentricité du chef qui, à la fin du concert, et pendant que l'orchestre exécute l'incontournable marche de Radetzky (par ailleurs roman essentiel de Joseph Roth que j'ai dégusté cet hiver) vient saluer un par un les instrumentistes.
Tradition respectée le soir de nouveau, cette fois avec la diffusion différée du concert de la Fenice sur Arte. Un beau gosse à la baguette (Matheuz), Carmen Gianattasio, coupe à la garçonne blond platine très fitzgeraldienne, et son partenaire contre-ténor Lawrence Brownlee, un classique cocktail de Donizetti, Verdi et Bellini pour finir tranquillement cette première journée de 2014. Comme sur la marche de Radetzky, on a le droit de frapper dans ses mains en rythme sur le Libiamo de clôture.
Funiculi, Funicula!
Jeudi 2 janvier
Direction le Grand Palais pour l'exposition Depardon - Un moment si doux. Quelques photos résonnent plus spécialement, quand elles sont prises dans des lieux que j'ai visités, parfois quasiment à la même époque, comme celles de Beyrouth.
Forcément, à la longue, on décèle quand même quelques tics de composition : il aime visiblement les angles d'immeubles, un personnage sur l'un des pans, il affectionne certains contrastes, certaines expositions, certaines oppositions colorées, mais peut-être la sélection des oeuvres de l'expo fait-elle focaliser sur ces traits saillants?
Au final, bien qu'intéressante, l'exposition est frustrante, au regard du prix d'entrée. Trop petite, trop courte, trop succinte. Pour le prix d'un pass même pas trois fois plus cher, les Rencontres d'Arles offrent trente fois plus de plaisir. Quel malheur d'être accoutumé au luxe.
Migration ensuite vers le quartier de l'Opéra, pour tester enfin Grillé, le kebab csp+ ouvert cet automne par un ancien du Chateaubriand qui débite du veau et de l'agneau de Desnoyer dans des galettes d'épeautre bio.
Il faut avouer que c'est un peu le sketch : la taule fait douze mètres carrés, on fait la queue un quart d'heure pour passer la commande et ensuite... ben ensuite c'est l'incertitude. Le plaisir de l'incertitude. L'indifférence de l'incertitude. Et puis au bout d'une grosse demi-heure, l'impatience de l'incertitude.
Parce que chez Grillé, le kebab, on te le bichonne. Le gars, il te débite sa colonne de barbaque en petites lichettes, tu te demandes si c'est à l'épluche-légume ou au coupe-ongle (compter 12 minutes pour une portion). Ensuite, il te l'assaisonne, mais attention, portion par portion. Et je te disperse mes 76 milligrammes de curcuma des hauts plateaux himalayens, et je te ciseaute mes trois feuilles de coriandre fraîche, et je te goutte-à-goutte mes 3,9 centilitres de jus de citron bio des contreforts de La Gomera, et je te balance ma pincée de fleur de sel... Et là, tu crois que ça va être bon mais non, la viande ça se sert chaud, et tu vois bébé, là, elle a un peu refroidi. Alors elle est bonne pour un petit aller-retour, oh rien du tout, trois-quatre minutes, sous la salamandre. Enfin on passe aux choses sérieuses : la galette allongée, la sauce (verte ou blanche, piment doux ou raifort) lissée, les lichettes de veau qui viennent s'y détendre, s'y enrouler... Hop, enveloppée dans un joli papier, et tendue au maudit chanceux qui te précède dans la file.
Sauf que, comme il y a de l'attente, les petits malins passent des commandes groupées. Tu crois que ça va être à toi, petit coquin? Bah non, le mec d'avant il a en a commandé six. T'es gentil, t'attends ton tour. Et c'est reparti pour les lichettes, l'assaisonnement, la salamandre. Limite tu es prêt à simuler une crise d'hypoglycémie pour qu'on te serve en priorité.
Une fois que tu t'en es sorti (avec une portion de frites involontairement glissée en rabe, oui ça fait plaisir, non ça ne s'imposait pas compte tenu de ton contexte pondéral) tu portes ton trophée à bout de bras comme le Saint-Graal devant le reste de la foule affamée et jalouse. Tu t'installes dans le square décati d'à côté, en jetant des regards angoissés sur les côtés, des fois qu'un morfale veuille te le piquer.
Alors oui c'est bon, c'est goûtu. Obligatoirement, après une telle attente, ça ne peut que consoler. Le pain a un vrai goût, la viande est tendre, fondante, imbibée de sauce et d'épices. De là à traverser Paris pour ça, à poireauter quasiment une heure -et encore, nous ne sommes que le 2 janvier... Petite compensation néanmoins (Suave mari magno...) : une pensée pour ceux qui, au même moment, font la queue gare Saint-Lazare pour s'envoyer un vulgaire hamburger industriel chez BK qui vient de réouvrir.
Un quart d'heure après, tout est englouti. Temps pour une balade shopping, de Roellinger (où je me leste de tisane à l'hibiscus aussi chère au gramme que du cannabis) à Delfonics, où je m'offre une jolie pochette rayurée club qui, quand elle sera trop fatiguée, pourra toujours être recyclée en cravate ou en noeud papillon.
Les reste du réveillon, effilochée de pintade et légumes écrasés, permettent un fort honorable parmentier que nous partageons au dîner avec la vilaine Lulu.
Vendredi 3 janvier
Je n'ai toujours appelé personne de la famille pour souhaiter à qui que ce soit la nouvelle année.
Le Loup de Wall Street aux Halles. Quelques souvenirs d'enfance remontent -mon père était gestionnaire de portefeuille au moment du krach de 1987, qui inaugure la carrière de Belfort/DiCaprio. Un Scorsese bien testostéronné, avec de belle performances d'acteur de DiCaprio en overdose ou en boss déjanté, sans morale et dont la dépendance à toutes sortes de substances, et en premier lieu l'argent, lui font perdre toute notion de la réalité. On n'échappe pas au couplet final, même s'il se glisse un peu en loucedé, sur la rédemption.
Samedi 4 janvier
Reprise du sport, après plus de trois semaines d'absence. Sans être complètement largué, ni trop empâté (les fêtes ont été raisonnables côté boustifaille, oui, un peu moins côté bouteilles), j'ai quand même du mal à suivre le rythme. J'anticipe des courbatures désagréables demain.
Incursion chez Gibert, pour essayer de mettre la main sur le Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, introuvable hier à la FNAC. Ici aussi, il est en rupture de stock, et cela me fait au fond très plaisir qu'un tel ouvrage rencontre ce succès. Je me contente de l'atlas de l'influence française, coordonné par le géopolitologue Michel Foucher, professeur qui a profondément marqué mes années de sciences politiques et a dirigé mon mémoire de fin d'études.
Le soir, dîner chez V. avec Joss, Kiki et la vilaine Lulu pour déguster ses makis maison. J'apporte des petites tropézienne et une jolie tarte aux pommes, complétées par une énorme boîte de macarons Dalloyau. Champagne pour faire couler, faut pas se déshydrater. Le LOMO crépite à tout va - oui, j'ai bien vérifié que la pellicule est bien enclenchée cette fois.
Dimanche 5 janvier
Une heure de jogging aux Buttes-Chaumont, et un début de dîner devant Le Hérisson, avant de zapper sur autre chose; je ne me souviens plus du reste.
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