Voilà. Solal est revenu. Avec autant de questions, sinon plus, qu’au départ.
J’espérais que ce rendez-vous avec ma pomme, face à des paysages aussi ocres et crevassés que la peau de Cathy Guetta à la fin de l’été, me permettrait d’en savoir plus sur moi-même : qu’est ce que veux ? en quoi je crois ? –et en tirer les conséquences pratiques, pour enfin (ou de nouveau, allez, soyons indulgent) rendre mes actes un peu plus cohérents avec ce que je suis censé penser, avec ces convictions que je ressasse et que j’affirme parfois avec énergie, voire avec passion. Je crois que c’est loupé pour cette fois. Bon, je suis sympa, je m’accorde une deuxième chance.
Mais d’abord, les vacances, trop courtes bien sûr. Voyage aller sans encombre, quelques heures de TGV, une nuit de bateau. Même pas vomi. Lever de rideau au matin sur une côte superbe, encore pignochée du bleu de la nuit. Premiers pas sur la terre ferme, petit-déjeuner au café des Platanes. Heureux hasard, me voilà attablé à côté du joli reubeu avec lequel les œillades furent intenses et prometteuses hier au port, mais que j’ai perdu de vue sur le navire (Jacques Pradel, au secours !).
Ensuite, ça se corse (et là, ce serait comme un subtil indice sur la destination…). Il faut rejoindre le camp de base, à une quinzaine de kilomètres. Rappel : Le Solal est parti en (presque) totale autonomie, avec sa coquille d’escargot sur le dos (la tente, le tapis, le duvet, le miamiam, les bouquins, le masque et le tuba, les fringues pour dix jours) soit une petite quinzaine de kilos au total –un peu comme une femme enceinte arrivée à terme qui aurait bien profité durant sa grossesse..
« L’aventure commence à l’aurore/à l’aurore de chaque matin/l’aventure commence alors/ que la lumière nous lave les mains »…Il est 7h30, l’air déjà chaud , j’attaque la route côtière. Je pourrais tenter le stop, mais je ne veux pas arriver trop tôt. En plus, la route ne s’y prête guère, trop dangereuse : des bas-côtés mal stabilisés, peu de place pour s’arrêter, des virages serrés. Et puis c’est aussi un petit défi que je m’impose. Allez, prouve que t’es cap ! L’épreuve ne m’en fera que plus savourer le moment où je pourrai enfin me poser. Trois heures et trois litres de sueur plus tard, j’y suis ! Accueil plutôt froid, je suis déçu –je sais pas moi, je serais la taulière, je mettrais un peu plus d’entrain à recevoir un jeune randonneur téméraire, exception parmi la foule de touristes en camping-car superluxe. Ben nan, elle doit juste voir que je lui ramènerai moins de pépettes qu’une famille d’italianos en bungalow, et pis la saison cette années est mauvaise, m’en parlez pas ma bonne dame, alors elle tire un peu la tronche…
M’en fous. Je monte la tente comme un chef. Il est onze heures. Je balance tout à l’intérieur et je fonce sur le petit chemin qui sent la figue et la mûre, cinq cent mètres de plaisir et d’impatience avant de débouler là, sur cette grande plage de Peraiola. Première trempette dans cette eau tiède et tranquille, épargnée par les huiles au monoï et les remugles de chichis. Et puis tout un arrière-pays de dunes de sable blanc, de buissons que j’espère ardents… La déception sera à la hauteur de mes attentes ! On continue le sentier côtier, la balade des douaniers et des contrebandiers. On a les jambonneaux griffés par les yeuses, ça sent bon les herbes du maquis. Et puis la voilà, la plage de Vana, ma chère petite plage que j’attendais de retrouver depuis tant d’années. On y est tranquille, n’y passent que les rares connaisseurs et quelques randonneurs courageux qui préfèrent la conquête des Agriates à l’autoroute du GR20. On peut tomber le caleçon de bain sans choquer la ménagère de moins de cinquante ans ou émoustiller un vieux beau égrillard, et la maréchaussée s’aventure rarement jusque là (surtout depuis qu’Yvan Colonna a été arrêté) pour verbaliser les impudiques.
Côté logistique, ça nous a des airs de Robinson Crusoë’s story. Je dors à la spartiate (tapis de sol de 50 cm par 120, minimaliste quoi –il est au matelas gonflable ce qu’est le string au boxer-short), je vis sur mes réserves de manne déshydratée comme dirait l’autre, à l’économie, pour que ça dure le plus longtemps possible. Le ravitaillement que propose l’échoppe du camp est limité et hors de prix –genre magasin d’alimentation d’une ville de province biélorusse en période de disette. En plus, j’ai presque pas d’argent liquide. A ce régime, j’aurai perdu, à la fin de mon séjour, mes quelques kilos de lard superflus.
Mes congénères ? Une estimation nasalo-inductive : 85% d’Italiens, 10% d’Allemands, le reste se partageant entre Français et Néerlandais. Beaucoup de familles, quelques couples, ambiance très hétéro. Pas forcément plus mal. Il y a malgré tout cette bande de jeunes mecs, ceux qui ont atteint leurs vingt ans font figure d’ancêtres parmi eux, pour la plupart italiens donc, bronzés, dessinés, dents blanches, attitudes démonstratives, qui folâtrent dans les vagues, jouent au foot sur la plage ou se pomponnent dans les douches qui sont, merci bien, en plein air….Aaarrgh. J’ai l’impression de m’être par mégarde égaré dans un casting pour une nouvelle production de Bel Ami. Ptain, et moi qui ai oublié mon bromure !!! J’ose à peine les regarder, de peur que mon coup d’œil se révèle trop insistant et ne trahisse par là même un désir qui pourrait me valoir des ennuis si les grands frères ou les papas s’en mêlent.
Deux jours après mon arrivée, je peux déchirer à belles dents mes cartes de rationnement : mon frérot débarque, avec sa nana, sa bagnole et son coffre rempli de victuailles. On va s’en fourrer jusque là, daladirladada. Ce n’était pas vraiment prévu, mais ça tombe bien. C’est en 1990 que nous avons, pour la dernière fois, passé plusieurs jours de congés ensemble. Il était encore tout môme. Je ne tiens à personne plus qu’à lui sur cette terre, c’est mon chouchou depuis qu’il a débarqué dans la smala. Je lui en ai fait voir de belles, on s’en est mis sur la gueule –adolescence et testostérone obligent- mais j’ai toujours eu des sentiments très fort pour lui. Physiquement, notre fraternité n’est pas flagrante, si ce n’est cette ombre de calvitie, qu’il a tant moquée chez moi ces derniers temps, et qui ne l’épargne plus. Et ce nez un peu fort, qui le gêne pour utiliser mon masque de plongée. Une tête de plus que moi, des biscotos, des abdos et des pecs qui feraient s’évanouir la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. Ah, j’oubliais, en plus, il est pompier. J’admire ce sacré mec, costaud, solide, courageux, qui risque chaque jour sa vie pour en sauver d’autres –en valent-elles le coup ? Lui apprécie mon bagoût, mon sens de la pirouette et de la débrouille, et mes efforts sportifs, car dieu sait s’il a pu se foutre de ma gueule sur ce point, lui qui disputait des championnats de France alors que moi, bouboule, je bouquinais dans mon coin et m’empiffrais de Mars en cachette.
Une petite semaine qui s’écoule donc gentiment, entre plongées, grimpettes dans les éboulis, lectures et apéros à la fraîche. Du mal à déconnecter du boulot, je pense à tout ce que j’ai laissé en plan à Paris. J’essaie de faire des projets pour la rentrée, d’aiguiser quelques bonnes résolutions à la fois ambitieuses et raisonnables. On verra, mais même si je n’en respecte qu’une ou deux, ce sera déjà ça. Tenir le blog à jour, bûcher sérieusement (j’ai une agrèg sur le feu moi, j’avais oublié), trouver un mec qui ne considèrera pas comme incongru ou extravagant le fait de passer plus de quelques mois à mon côté.
Deux derniers jours de grand vent, voire de tempête : les bourrasques tutoient les 120 km par heure. Le frérot et sa cops doivent plier la tente et crécher dans la ouature. Ma tentine à moi tient bien le coup. Il faut repartir, un dernier restau, expédié pour être à l’heure à l’embarquement. Pour rien, les intempéries ont complètement perturbé le trafic maritime, nous appareillerons avec presque trois heures de retard. Groumpf. Minuit et demie. Chuis claqué. Je rejoins ma cabine et les trois autres gaillards qui seront de la traversée.
Le seske ? Oulàh, rien de croustichô, pas utilisé un seul préservatif, et pas par bareback attitude mal placée… L’occasion aurait fait le larron, mais le « cœur de cible » était sous-représenté, et puis j’étais chaperonné par le frérot, fallait se tenir bien.
Il y a eu quand même un petit épisode sur le bateau de retour. Tout de suite, dès le départ, les deux mecs installés sur les couchettes du haut s’endorment. Moi, sur une des couchettes du bas, je tchatche un peu avec mon voisin reubeu, qui m’abandonne pour aller sur le pont fumer son ptit joint du soir. Je somnole, transpirant en shorty dans la moiteur de la cabine, une vraie étuve. Il revient une heure plus tard, allume la veilleuse qui diffuse une lumière tamisée qui donne à sa peau la couleur du désir. On échange encore quelques mots sur la chaleur de l’air, la longueur du voyage, le mouvement du navire. Je me retourne sur le ventre pour dissimuler l’émotion naissante ; lui, assis face à moi sur son oreiller, se désape et prend tout son temps pour me faire profiter d’un entrejambe prometteur, mis en valeur par un slip noir bien ajusté. Il se couche, cuisses écartées, éteint la veilleuse, il bouge un peu, j’entends ses mains qui glissent sur son corps. J’ai l’impression que très vite sa respiration devient régulière, qu’il sombre… trop chaud, trop excitant pour moi, je n’arrive pas à m’endormir, il est là à un mètre, je pourrais le toucher sans presque me lever… je ne vois d’autre issue, si je veux pouvoir dormir quelques heures, que de me soulager moi-même, le plus discrètement possible –si ce mot a un sens dans un cube de moins de trois mètres de côté où sont entassés quatre individus. Je compte sur l’obscurité, sur le bruit des moteurs, pour jeter un voile pudique sur cette activité nocturne. Je fantasme à mort sur ce mec, un scénario d’enfer. Il est là, à côté, je l’entends pioncer tranquillement, mais l’idée qu’il pourrait se réveiller de façon impromptue et me surprendre en plein travail m’excite encore plus. Je conclus avec une rare énergie, je n’ai pas le souvenir d’avoir connu une telle satisfaction manuelle. Je me laisse enfin bercer, et cède à mon tour au sommeil.
Réveil quelques heures plus tard. Les deux du haut rempaquettent vite fait leurs affaires et s’éclipsent. Nous, les deux du bas, on prend notre temps, on s’étire, on baille, on se regarde, un ptit bonjour, un grand sourire, et puis il me sort : « J’ai l’impression de n’avoir pas été le seul à avoir eu du mal à m’endormir !!! » ponctuant d’un gros clin d’œil bien appuyé. Le salaud a profité du spectacle, installé aux meilleurs loges, en première catégorie…
Ah, ça ne rapporte plus autant qu'avant, le peep-show...
Rédigé par : L'autre | 30 août 2004 à 05:34
ça fait plaisir de te relire!
Rédigé par : muto | 30 août 2004 à 09:56
Je me suis toujours demandé dans ce genre de situation où la promiscuité est opressante (train, avion, dortoir d'auberge de jeunesse...), si j'étais le seul à ressentir se besoin impérieux de me satisfaire au vu et au sus de tous.
Apparemment, non !
Quel beau et chaste souvenir...
Rédigé par : Strokkur | 30 août 2004 à 20:06
Si ça peut vous rassurer, vous n'êtes pas les seuls : ça m'est déjà arrivé aussi. Sauf que moi, je suis discret... On ne me fait pas des réflexions pleines de sous-entendus le lendemain matin...
Rédigé par : Pascal | 31 août 2004 à 00:04
content de te relire.
bonne rentrée ;)
Rédigé par : wam | 31 août 2004 à 17:22
la rentrée doit être bien dure: on commence à trouver des toiles d'araigner sur ton blog ;o)
Rédigé par : muto | 03 septembre 2004 à 15:47