(Résumé de l'épisode : il n'y a pas de scandale à ce que le projet de loi contre l'homophobie ne soit pas examiné durant la session parlementaire extraordinaire. Avant de crier hystériquement au complot, penchons nous plus avant sur le fonctionnement concret des institutions…)
L' interLGBT s'émeut du fait que le nouveau projet de loi, préparé par le ministère de la justice, visant à lutter contre l'homophobie, ne soit pas inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire du Parlement. Pour cette organisation, il s'agit de "mépris à l'égard du mouvement social" et "ce manque de considération pour la parole donnée laisse sans voix".
C'est bien de s'indigner, mais il faut le faire à propos. Tant sur la forme que sur le fond. Et dans le cas d'espèce, il me semble qu'il y ait maldonne.
Question de procédure d'abord. J'ai travaillé, à mains nues, comme de la glaise, la matière parlementaire pendant des années. Je me permets donc de parler d'expérience. Ca va être un peu long, mais comprendre la vie de la cité nécessite de se donner un peu de mal aux neurones. La vie, c'est pas tout simple comme la vie dans le Loft.
L'agenda du Parlement est engorgé, ce n'est pas une nouveauté. Chaque semestre, le secrétariat général du gouvernement (SGG), structure administrative qui dépend de Matignon, organise des réunion avec les représentants de chaque ministre qui établissent leur priorités pour le semestre à venir : j'ai tel projet de loi à faire voter, tel traité international à ratifier, sachant que certains texte revêtent un caractère particulièrement important soit parce qu'ils s'articulent avec un texte antérieur, soit parce qu'ils sont incontournables (loi de finances, loi de financement de la sécurité sociale), soit enfin parce qu'ils correspondent à des engagements forts pris par l'autorité politique.
Avec tout ça, le SGG concocte un programme de travail du gouvernement, qui doit prendre en compte différentes étapes : avis du Conseil d'Etat, présentation en conseil des ministres (je fait rapidos). Les projets de loi sont ensuite déposé au bureau de l'Assemblée nationale ou du Sénat.
Ensuite, c'est le gouvernement qui est effectivement le maître de l'ordre du jour. Et là, il faut gérer la pénurie : en gros, les assemblées travaillent sur trois jours utiles du mardi matin au jeudi après-midi. De cela, il faut défalquer le temps des questions d'actualité (vous savez, celles qui sont diffusées par France3) deux fois par semaine à l'Assemblée et une fois tous les quinze jours au Sénat. Il faut aussi prendre en compte les vacances parlementaires et les "gels" dus, certaines années, aux campagnes électorales.
C'est le ministre des relations avec le Parlement (actuellement Henri Cuq) qui est chargé d'organiser tout ça. Il faut vous imaginer la foire d'empoigne entre tous les ministères pour voir ses textes examinés : centaines de coup de fil, je te laisse le mardi matin si tu me laisse le jeudi aprème, y a pas de raison que ma loi elle passe pas si la sienne elle passe, mon ministre est à Vesoul ce jour là et il peut pas présenter le texte à l'Assemblée. Juste pour que vous vous imaginiez, il suffit pas de mettre ça dans un ordinateur qui vous sort un emploi du temps tout fait. A cela il faut ajouter le retard pris pour l'examen des textes : on prévoit deux demi-journées pour examiner un texte, mais à cause des amendements et du débat, on prends deux heures de plus, et on doit tout décaler. Bref, ze bigbordel.
Le programme de travail est actualisé chaque semaine, lors de la "conférence des présidents", qui réunit le ministre des relations avec le Parlement, les présidents des assemblées et les présidents des groupes politiques.
Le Parlement arrête de siéger fin juin (demain), sauf si le président de la république convoque une session extraordinaire –ce qui est donc le cas cette année. Ce "rab" de temps est normalement consacré à "écluser" les textes dont il faut terminer l'examen ou dont le caractère éminemment urgent est avéré.
C'est là que le bât blesse. La proposition de loi n'était même pas encore (hier en tout cas, je n'ai pas vérifié aujourd'hui). Il faut ensuite que le texte soit étudié en commission, en l'occurrence au sein de la commission des lois et de la commission des affaires sociales. Pourquoi pas aussi que les commissions entendent l'avis d'experts sur le sujet : responsables d'associations gaies, directeurs de journaux, représentants d'avocats et de magistrats,… histoire de saisir les tenants et les aboutissants du texte, d'en voir les limites ou les défauts et préparer, si nécessaire, les amendements qui permettraient d'améliorer le texte.
Eh oui, la démocratie, même si ça ne fait pas plaisir à certains, ça prend du temps. La norme est d'autant plus forte, d'autant plus légitime, qu'elle a suivi ce processus : il faut se donner les moyens–ce qui implique du temps- de confronter les points de vue, d'opérer des allers-retours entre les constructions théoriques et les implications pratiques et de convaincre.
Je suis persuadé qu'une norme est d'autant plus légitime et sera d'autant mieux appliquée dans la société que toutes les opinions, y compris les plus contradictoires, auront pu s'exprimer. L'urgence affaiblit la démocratie, l'émotion (même si elle est justifiée, comme dans le cas de l'agression de Sébastien Nouchet) la mine et donne peut donner le sentiment qu'on a voté en catimini pour donner des gages à un groupe de pression particulier (le lobby gay ou celui des restaurateurs), et c'est pas ce qu'on veut, heeeiinn ????
Honnêtement, cette loi ne changera pas grand chose à vie quotidienne des pédés –s'il faut la faire, faisons la, mais faisons la bien. Elle offre un peu plus de protection une fois que le mal est fait. Mais elle ne m'aidera pas à faire mon coming out auprès de mes parents, à vivre en couple dans ma ptite ville de province ou ma cité de banlieue sans que certains pensent que c'est une ignominie (même s'ils n'ont pas le droit de me trucider à coup de bêche parce que ça ne leur plait pas).
On n'est pas aux pièces, on peut prendre son temps et faire de l'adoption de cette loi un vrai moment de débat au Parlement comme à l'extérieur, pour entendre tous les avis –y compris ceux qui ne nous plaisent pas. Et adopter une loi qui signifie vraiment quelque chose. On n'est pas à deux mois près.
Je viens d'apprendre que Jean-Luc Romero démissionne de ses responsabilités à l'UMP à cause de ce report. Je trouve ça dommage, et même très regrettable. Il est à mon avis bien plus utile au sein de l'UMP qu'à l'extérieur, et il faut reconnaître le courage qu'il a eu jusqu'à présent (parfois un peu malgré lui, c'est vrai) de défendre la situation des pédés dans un parti de droite.
Merci à ceux qui auront pris la peine de lire mon opinion jusqu'au bout. Des mots jetés à la va-vite, sans trop d'organisation et dans un style assez oral… on me pardonnera, hein?
Comment ça le droit parlementaire c'est pas sexy? Tsss...
Ben moi j'ai tout lu! Et même qu'au dizième paragraphe il manque un mot...
En tout cas, ça fait rudement plaisir des blogueurs aussi pédagogues.
Rédigé par : M LeMaudit | 30 juin 2004 à 04:17